Petites histoires à réveiller les enfants morts

(15 histoires)

Il y avait ce vieux grand père qui roulait sur une route avec une tondeuse à gazon pour aller voir son frère qu'il n'avait pas vu depuis dix ans. Il dit à une jeune fille en fugue qu'il rencontra sur la route: "tu sais, j'ai 73 ans et j'ai eu tout ce que la vie peut apporter maintenant... J'ai eu une femme qui est morte aujourd'hui et 14 enfants. Sur les 14, 7 ont survécus aux différentes guerres. Et souvent quand ils étaient jeunes, je jouais avec mes enfants avec n'importe quoi. Je leur donnais une fine baguette de bois et je leur disais: essayes de la casser, et évidemment c'était facile et ils la cassaient en deux sans problème. Puis je leur disais, maintenant, attaches toutes ces baguettes ensemble et je leur disais à nouveau: essayes de les casser maintenant et là ils ne pouvaient pas malgré tous leurs efforts. Et puis je leur expliquais alors qu'une famille, notre famille c'est comme ce fagot de bois là, avec ses brins fragiles..."


Je cherche et je tombe sur des murs vides qui ne veulent pas montrer leurs briques. Il y a toutes ces vieilles plantes grimpantes qui ne veulent pas qu'on les dérange, alors je gratte ici ou là, celle qui a grimpé sur le coté, mais qui est aussi torturée par les hivers glacés. Un an passe et une plante meurt. Et il ne reste qu'une trace de racine séchée qui pourrit sur le mur en attendant qu'un autre la couvre, un jour, d'une couche de peinture.


J'ai emporté des provisions pour marcher dans les bois. Je sais qu'il faut toujours des provisions quand on part à la guerre. Deux patrouilles sont déjà passées et je n'ai rien senti. De toute façon je n'aime pas la guerre et on ne sait jamais qui va en réchapper. Quand on est envahis, il faut se faire tout petit pour pouvoir survivre. Et quand on survit, on a honte de manger ce quoi pour d'autres sont morts. Un jour je changerais ça pour qu'on manque jamais de rien dans le monde. (Mira, 6 ans, Égypte)


Un corbeau est venu à la fenètre. Il revient toujours quand je commence à m'amuser dans ma chambre. Il me regarde comme si je faisais quelque chose de mal. Moi j'ai rien fait à mon frère, c'est lui qui s'est jeté sur le couteau et a cassé son coeur avant d'aller au marché... Un jour le corbeau me mordra, je le sais, ça fait des années qu'il attend ça.


Une fois je suis rentré à la maison et il n'y avait plus rien, ni ma mère, ni mon frère, ni ma soeur, j'ai cherché dans leur lit, dans leur chambre, partout dans la maison, mais je n'ai rien trouvé et même leurs armoires, elles étaient vides. Même que j'ai regardé plusieurs fois dans leurs armoires, mais à chaque fois, elles étaient vides. Parfois, ils me faisaient des blagues, mais à la fin je savais toujours que c'était des blagues. Mais là je ne sais toujours pas à quoi ils ont joué.


Un chat gris est entré dans mon lit. Il me lèche tendrement les pieds et je l'entends ronronner comme les fois où on le caresse entre les oreilles.  Il s'est promené une fois dans la nuit, il voulait revenir là où il était né, dans son village des chats là où il y a beaucoup de souris. Et puis sur le chemin, il y a eu une tempête et il ne savait pas quoi faire car il ne voyait plus le chemin du village et il ne voyait plus le chemin de sa maison, alors il n'a plus bougé de là où il était, parce que là où il était, il était encore en vie. Tant qu'il ne bougeait pas, il était en vie. Tant qu'il ne bougeait pas, il était en vie. Tant qu'il ne bougeait pas, il était en vie. Tant qu'il ne bougeait pas, il était en vie. Tant qu'il ne bougeait pas, il était en vie. Tant qu'il ne bougeait pas, il était en vie. Et ça, même si on l'a retrouvé écrasé par un camion le 7 Juillet 1985.


Un jour, on partira sur un bateau , je le sais, je l'ai vu dans le grand livre de ma vie qui est caché dans le cadenas de ma cellule. Il n'y aura plus de jeux de ballons qu'on tape avec des bouts de bois ni de petite fille qui ne veux jamais sortir de la voiture pour entendre les bouts de verre cassés. Il n'y aura plus jamais de musique et plus de vins, jamais plus. On éteindra le soleil et on démontera la lune, on arretera les voitures et les vélos et on cassera les montres. On éteindra les rivières et on empèchera l'herbe de pousser. Il n'y aura plus de chiens qui disent bonjour quand on rentre dans sa maison et il n'y aura plus de chats qui traversent les mers pour donner leur petits aux neiges tueuses.


La Reine Carosse, c'est elle qui commande dans la cité.  Un jour, la cité est assiégée et les habitants sont tous réfugiés au centre pour se protéger. Les soldats attendent sur les murs et on mange seulement un petit peu pour économiser. Puis c'est de plus en plus difficile parce que on a presque plus rien et l'ennemi est toujours là, derrière la porte. Alors on ne sait pas quoi faire et la Reine Carosse dit qu'il faut compter tout ce qu'il reste pour prendre une décision. On cherche dans tous les coins et on trouve seulement un cochon tout maigrichon et deux sacs de maïs. Alors la Reine Carosse dit qu'il faut bien nourrir le cochon pour qu'il soit bien gras. Les gens ne comprennent pas, mais comme c'est la reine Carosse, on donne tout le maïs au cochon. Et puis le cochon devient bien gras et alors la Reine Carosse dit qu'il faut jeter le cochon par dessus les fortifications et, comme c'est la Reine Carosse, alors qu'on a très faim, on jette le cochon... Le cochon bien gras s'eclate en bas des fortifications, le ventre plein de maïs devant les ennemis et les ennemis épuisés par les combats se disent que si ils jettent un tel cochon c'est qu'ils peuvent bien tenir encore longtemps et ils s'en vont.


C'est l'histoire de Fritz le chat. Sa maman  est très colère, elle griffe tous ceux qui s'approche trop près d'elle. Fritz, il aime bien son copain chat Koundun et il veut toujours être près de lui pour jouer. Il aime bien ses longues moustaches blanches. Mais sa maman elle n'aime pas Koundun ni tous les autres siamoidons qui ont tous une sale moustache. Alors elle griffe Koundun et manque de le tuer. Depuis Fritz n'a jamais plus eu de moustache, et il a perdu tous ses poils...


Il y a ce Monsieur qui s'appelle Novembre, à cause de ses cheveux d'Automne. Il sait tout ce que tu veux savoir, mais il ne te parle jamais. Il a une canne et une femme et des enfants très nombreux. Il donne des cours de quelque chose que les grands ne connaissent pas encore. Il a travaillé loin avant que la guerre n'éclate dans son pays. Sa femme va à l'Eglise, le dimanche et met toujours un cierge pour que le Christ se rappelle à eux et qu'ils ne soient pas séparés. Lui, il ne la jamais su sauf que lorsque l'oncle Louis est passé il a compris qu'il était comme lui, perdu dans ce monde et loin de sa famille. L'Oncle Louis lui a donné des pièces d'or, mais Monsieur Novembre est mort avant de pouvoir en donner...


  Au milieu du cyclone, il y a toujours un oeil qui me regarde.

Il est toujours calme et il me dit à sa manière ce que je sais depuis toujours.

Les bateaux se cassent dans les tempêtes,

 mais les femmes sont toujours là pour pleurer les marins.

Les oiseaux sont toujours là pour remplir leurs nids d'oeufs au printemps

et les poissons seront toujours assez nombreux pour être petits


Dans l'espace au fond à droite, il y a la planète Neovilot, c'est une belle planète verte qui abrite une seule famille. C'est une famille d'Alconis qui sont des sortes d'humains grands et malins. Il y a les femelles, qu'on appelle les Evaes et les mâles qu'on appelle les Admas. Dans la famille il y a le papa Alconis, la maman Alconis et les enfants Alconis. Et il y a petite Aevae qui est presque la dernière. Un jour, alors qu'elle a grandi et qu'elle est charmante et jolie, son grand frère Derban la pousse dans un coin et lui fait tout un tas de drôles de choses que font les grands surtout au printemps. Aevea a très peur et au fond, elle est très colère mais elle ne peut rien dire parce que c'est son grand frère Derban et qu'il est fort et parce qu'on l'aime tant, et puis les lunes passent et sa colère grandit, personne ne veut l'aider et personne ne devine qu'elle est mal et tout abimée. Alors, elle ne dit rien et le garde bien. Et puis, elle épouse un autre Admas qui vient d'une autre terre. Mais son corps se souviens du soleil et du sel d'Alconis. Sa peau ne supporte plus le contact, ni la lumière et lui donne tout plein de points noirs. Elle cache bien le secret au fond des taches noires et un jour sans le vouloir, elle enfante d'une petite, brune et fraiche comme la lune. Un peu plus tard arrive un autre enfant qui sera le frère de la première. Aeva est très colère contre lui parce qu'il a l'air un peu hardi, comme avait l'air un peu avant son frère Derban. Elle a d'autres taches noires qui brunissent au soleil et les lunes passent et s'enchainent jusqu'au prochain frère...


Au fond de la mère, il y a un requin qui sommeille. Il est tout blanc, grand et très très méchant. Un jour que je rentrais de l'école j'ai dit que j'avais vu l'oncle Louis qui ramenait une petite fille jusqu'à sa maison. La mère s'est déchainée, le requin est sorti et m'a mordu plusieurs fois au visage et au dos. Maintenant je ne peux plus me baigner, j'ai peur de la mer...


Mon ami ouvrit le tiroir de la commode de son épouse et en sortit un petit paquet enveloppé de papier fin. "ceci" dit-il n'est pas un simple paquet, "C'est de la lingerie" ... Il jeta le papier et observa la soie et la dentelle...  "J'ai acheté ceci la première fois que nous sommes allé à New-York, il y a huit ou neuf ans. Elle ne l'a jamais mis. Elle voulait le garder pour une occasion spéciale. Et bien...je crois que c'est le bon moment." Il s'approcha du lit et rajouta le paquet à d'autres choses que les pompes funèbres emmèneraient... Sa femme venait de mourir... En se tournant vers moi il me dit: "Ne garde rien pour une occasion spéciale, chaque jour que tu vis est une occasion spéciale."


Lilia avait dix ans, quand on l'a retrouvé. Son corps était couvert de bleus et d'ecchymoses, il présentait des fractures partout, on a pas vraiment pu la sauver… Lilia était une de ses enfants de la rue, les Aurolachis comme on les appelle à Bucarest parce qu’ils passent leur temps à sniffer de cette colle, l’Aurolac… Elle s’était enfuie plusieurs fois de chez elle, quand on l’a retrouvée…Ses parents s’étaient séparés lorsqu’elle avait huit ans... Son frère était allé vivre avec leur père. Mais sa mère, qui adorait son fils s’en était prise à Lilia et la frappait avec tout ce qui lui tombait sous la main. Ce soir là, après lui avoir fracturé pratiquement tous les os du corps à coup de hache, elle lui ordonna d’aller lui acheter un paquet de cigarettes… Elle n’a pas pu allé bien loin... Lilia n'était jamais sortie de sa ville. Elle n'avait jamais dépassé la limite de son quartier... Elle est partie et, bien qu'elle en rêvait, elle n’aura jamais vu la mer...

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